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Maurice Capron (1892-1945) itinéraire d’un Grand Résistant

Dernière mise à jour : 16 mai 2021

Le numéro 56 paru en novembre 2020, de la revue d'histoire locale Foën Izella était consacré à la mémoire de Maurice Capron qui fut à l'origine de la création du mouvement "Turma Vengeance » dans le canton de Fouesnant, groupe qui, en s’étoffant, devait par la suite fournir l’essentiel des effectifs de la 7° Compagnie F.F.I.

Cet article en est une synthèse.


La stèle à la mémoire de Maurice Capron qui fut inaugurée le 18 juin 1992.Elle est, selon la volonté de la famille, située à proximité de la villa de Ty Mengleun, villa que la famille Capron louait à Bénodet.


Qui était Maurice Capron ?

Maurice est né le 12 juillet 1892 à Hem (département du Nord, au sud de Roubaix). Le 22 septembre 1919, à Douai, alors sous-lieutenant en garnison à Dijon, il épouse Raymonde Maronier.

Pendant le premier conflit mondial, il intégrera les école de pilotage de Dijon, Chartres et Avord. Titulaire de la Croix de guerre, il sera fait chevalier de la légion d'honneur le 16 juin 1920.


Une des dernières photos des personnels navigants et mécaniciens de l'escadrille SAL 61 . Le lieutenant Maurice Capron dans l'ellipse rouge.



Dans l'entre deux-guerres, avec son beau-frère "Henri" Auguste Schmidt, il s'occupe de la brasserie familiale à Douai.




A la fin des années 30, la famille a pris ses habitudes à Bénodet en louant la maison ty mengleun de la famille Dagorn, qui se trouvait "dans les colonies" comme on disait alors, à Madagascar.


la villa de Ty mengleun à Bénodet


Maurice possédait un voilier mouillé au port et les 3 enfants; Ginette, Georges et Claude, sympathisaient avec les jeunes du quartier qui s'en souviennent encore.



Remerciement à Jeanne-Marie Le Garrec Le Ster pour la mise à disposition de ce document.

La famille Capron sur la plage du Trez : Claude, Georges, Ginette et leur maman.


Maurice Capron dans la seconde guerre mondiale


« En août 1939, alors que nous étions en vacances à Bénodet, il (Maurice Capron) a été rappelé et a été affecté à l’Etat major de la 6ème brigade près de Manosque. Démobilisation en septembre 1940. Il revient à Bénodet et décide que nous ne rentrerions pas dans le Nord.

Alors maintenant ? Je ne peux qu’affirmer qu’avant 1942 il faisait partie de l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée). Etant en zone côtière, il avait bien des possibilités pour des renseignements sur les emplacements de défense, de fortifications, déplacements de troupes etc…

Sous couvert d’aller dans le Nord pour vérifier son usine où il allait souvent, il rencontrait à Paris d’autres membres de l’ORA. Sa présence à Bénodet pour le cas où ces messieurs auraient été curieux, était motivée par des certificats et ordonnances de cardiologues précisant que le climat lui était vivement recommandé.

Je crois pouvoir affirmer que c’est à ce moment que l’ORA lui a demandé de créer une section FFI à Bénodet ou Fouesnant dont tu dois avoir la date, moi je l’ignore.

Quant aux circonstances de son arrestation, je suis absolument certaine, j’en ai les preuves, un traitre ayant dénoncé un résistant dans les Côtes du Nord (d’Armor), a fait boule de neige, tortures, arrestations… Cette série a fait le tour côtier de la Bretagne vers le Sud.

8 jours avant son arrestation, il y a eu ( t’en souviens-tu ?) la rafle nocturne de tous les hommes de Bénodet. Les hommes ont été gardés toute la journée à l’Hôtel Belle Vue avant d’être presque tous relâchés.

En rentrant papa était très tendu, il ne tenait pas en place. Durant cette semaine, il m’a demandé d’aller dans de drôles d’endroits, pour rencontrer de drôles de gens, garçons et filles qui écoutaient avec beaucoup de sérieux de drôles de phrases apprises par cœur que je leur disais.

J’avais 16 ans et j’ai demandé à papa s’il se payait ma tête. Il m’a répondu « moins tu en sauras, mieux ça vaudra, oublie et tais toi. Me taire je l’ai fais, oublier je n’ai pas pu.

Le 28 février 44, en fin d’après-midi, maman était seule à la maison à Ty mengleun, quand la Gestapo est venue ; ils ont demandé à voir papa. Comme il n’était pas là , ils ont dit à maman qu’ils reviendraient le voir le lendemain matin. Le soir quand nous avons été réunis tous les 3 (Claude était au Lycée à Quimper où il avait une chambre) Maman a dit à Papa de partir ; il n’a pas voulu craignant que l’on nous arrête à sa place pour le faire revenir ; De plus, nous n’avions aucune possibilité de faire prévenir Claude (couvre-feu et pas de téléphone). De plus, se faire héberger (et par qui ?) était donner un risque à une autre famille. Papa a décidé de « les attendre ». « Et puis ils ne m’enlèveront peut-être pas « disait-il à maman.

Durant cette nuit, il m’a dit que si toutefois on l’arrêtait, il fallait que j’aille immédiatement dire à Claude (le frère cadet qui se trouvait au lycée La Tour d'Auvergne en Math sup.) à Quimper, qu’il ne revienne pas à la maison, puis aller à Pont l’Abbé avertir le capitaine Jaffret de la gendarmerie. Tu pourrais peut-être savoir quelque chose par la gendarmerie de Pont l’Abbé.

Il fallait aussi prévenir le petit facteur (M. Guillermou) qui habitait près de la châtaigneraie de Penfoul etc …

Le 29 février vers 11h, ils sont arrivés ; ils ont vaguement fouillé le bureau de papa, puis ils lui ont interdit de nous parler et dit de préparer une petite valise avec objets de toilette. Papa avant de partir a demandé s’il pouvait nous embrasser. Ils ont dit oui mais sans nous quitter des yeux. Dans le Nord, on s’embrasse deux fois. 1 baiser sur chaque joue. En Bretagne c’est trois fois. Papa m’a embrassé trois fois, un baiser pour chacun de ses 3 enfants, c’était clair.

En septembre 45, notre brave recteur est venu de la part de la Croix Rouge nous annoncer le décès de papa le 3 janvier 45 au camp de Neuengamme (près de Hambourg).

Extraits d’une lettre écrite par Ginette Capron (Mme Samson) à Louis Nicolas le 29 août 1991



photo de Maurice Capron avec sa fille Ginette prise à Ty Mengleun


Texte tiré du document envoyé par papa de la prison de Rennes (prison Jacques Cartier).

Pour information, il faut savoir que pour transmettre ces réflexions et ces demandes, Maurice Capron utilisait une technique très particulière : incarcéré donc, il communiquait avec son épouse par l’intermédiaire d’un livre (ou plusieurs ?) qu’ils s’échangeaient pas colis et un un petit point marqué au stylo sous quelques lettres permettait de reconstituer mots et phrases. Ce livre a permis aux époux Capron de communiquer pendant l’incarcération de Maurice à Rennes.

« Au cinquantième matin de mon arrestation (le 19 avril donc), je viens causer un peu avec vous. La santé est normale maintenant, mais du 25 mars au 16 avril je suis resté sans colis et ai eu très faim. De plus je ne savais que penser, je me mettais un tas de choses en tête et le moral n’était pas bon. Heureusement le 16 avril est arrivé un fameux ravitaillement qui a remis moral et physique à peu près d’aplomb, s’ils m’ont laissé mon tabac « et il a et … » bien vif merci pour tout le dérangement que cela vous donne, je vous revaudrai cela.

Il me manque : un pyjama, brosse à dents, savon, dentifrice, peigne, serviette de table, savon de Douai et quelques savonnettes car je fais ma lessive moi-même, des socquettes en rayonne, une chemise, les deux chemisettes en toile faites par la soeur d’Henri Charretour, une écharpe grise en laine des Pyrénées pour me servir de polochon.

A chaque envoi, mettez les derniers journaux parus : Nord, Bourse, dépêches, Nouveaux Temps, illustrés en colis agricoles vous avez droit à 5 kg. Envoyez plus par le Secours National, car ils donnent ce qu’ils veulent bien.

Envoie moi mes chaussons à sabots noirs de Douai ainsi que ceux que Glu m’as tricotés, dedans cache une ou deux aiguilles à repriser les chaussettes et mets une pelote de laine. Mon sac alpiniste, un jeu de cartes, mets deux livres, un dans lequel tu écris comme moi et l’autre qui servira pour répondre, mets aussi une méthode assimile d’allemand, tu m’enverras l’anglais un peu plus tard. La première doit se trouver sur la table de notre chambre.

Si tu as envoyé des colis entre le 25 mars et le 15 avril fais une réclamation à la poste. Il faudrait que tu viennes environ toutes les semaines à Rennes pour avoir des nouvelles, quant à vous, vous pouvez m’en donner toutes les semaines. Dans le prochain colis quelques pierres à briquet et un paquet de cure dents.

Je viens vous causer un peu de ma vie ici. D’abord le logement : une pièce blanchie à la chaux, quatre mètres sur deux, devant une porte avec deux grands verrous de taille respectable avec deux serrures aussi imposantes que bruyants. En face à une hauteur inaccessible, une fenêtre bien grillagée. Dans le coin à gauche en entrant une tinette est à côté le lavabo à l’eau courante qui sert aussi d’urinoir, par terre sur le plancher quatre paillasses dont la paille commence à devenir inexistante , malgré tout, ni puce, ni poux, ni punaise.

Le matin réveil à 7 heure, on plie les paillasses et on commence à tourner en rond comme des ours en cage. A 9 heure, café et pain : 300 grammes pour la journée. A 11 heure, une demie gamelle d’eau de lavage dans laquelle nage soit rutabaga soit quelques feuilles de choux, à 5 heure la même soupe un peu épaissie par des patates et c’est fini pour la journée. Le dimanche un peu de bœuf. Tu vois que quand on est réduit à ce régime il y a de quoi mourir de faim. A 8 heure coucher obligatoire et silence complet. Durant la journée, on lit un peu, on cause et surtout on rumine et on pense à des tas de choses bien propres à vous donner le cafard.

Pendant que j’y pense classe bien toutes les lettres que tu as reçues épingles-y les brouillons de tes réponses. La maison du 4 septembre est-elle vendue ? Le 15 avril ? Si oui dis à LILY de te faire envoyer les fonds à la société générale à Quimper. Il a dû aussi faire envoyer environ cent cinquante mille francs de titres au dépôt au compte d’avance à la banque.

La seule distraction on peut dire, depuis mon arrivée ici a été mon interrogatoire le 27 mars. On m’a emmené en ville à la maison des étudiants où se trouve la gestapo. J’oublie aussi de vous dire que je porte maintenant les menottes avec une suprême élégance. Mascart a du vous le dire car il m’a vu à Quimper, c’est lui qui a dû vous prévenir de mon départ pour Rennes. Je n’insiste pas sur l’interrogatoire. Il était inutile que je nie, mais je n’en veux pas à Guennec qui m’a dénoncé, car ils ont des moyens pour vous délier la langue qui sont irrésistibles étant donné que la résistance physique a des limites et ne résiste pas aux tortures. J’en sais malheureusement quelque chose. Je suis remis maintenant. Que Claude travaille bien ; il sait que son succès me fera plaisir

Amitiés à tous les copains, dis à Tranchard que le cru de la prison ne vaut pas son muscadet, amitiés à Kerbrat.

Dis à Claude de surveiller mes timbres. Voilà le principal de tout ce que j’avais à vous dire. J’attends ta visite avec impatience pour te remettre ce livre. Tous les jours je remettrais un petit mot et maintenant il me reste à dire que j’ai confiance dans tout ce que tu feras et que les enfants auront à coeur de t’aider à supporter cette épreuve. Je vous aime de tout mon coeur, de toute mon âme et cette épreuve ne pourrait qu’augmenter encore mon amour si c’était possible. Je vous embrasse de toute mon âme. Bons baisers à toute la famille.

19 avril 1944: Rien de particulier. La journée s’est passée comme d’habitude, j’ai oublié de te dire de m’envoyer un morceau d’amadou à briquet, il faudra bien le cacher, par exemple, le coudre à l’intérieur des chaussons. A demain, très doux baiser. J’ai oublié de te dire de mettre une main éponge et aussi d’envoyer deux paquets de chicorée à cette adresse : Mme RICOU rue des voyers Dinard et Mme Gautier à Plomeur. Ce sont les parents de mes camarades de prison qui m’ont empêché de mourir de faim pendant la période de disette. L’un est braconnier, l’autre est gendarme ils s’engueulent toute la journée ça fait passer le temps.

Je viens de recevoir un colis, je ne sais qui l’a apporté , il y a tout ce qu’il me faut pour le moment, mais pas de brosse à dents, ni peigne. Merci pour la bouteille vous me gâtez et à ce régime je vais grossir. Mais il faudrait plus de livres aussi, je n’ai pas encore de nouvelles. Vous devez être bien ennuyés pour le pain à Bénodet avec les nouveaux tickets de Paris. Quand tu reviendras à Rennes tu pourras en acheter, mais pas le jeudi. A demain . Bons baisers.

22 avril 1944 : Le docteur m’a fait appeler, il n’a pas voulu me laisser lire ta lettre, il m’a dit d’aller le voir si j’avais mal, j’irais tous les jours.

Demain vingt cinquième anniversaire de nos fiançailles. Te souviens-tu combien j’étais heureux ? Hélas ça a bien changé ! Je pense bien à vous trois et à JoJo. Ginette doit faire bien des courses avec le ravitaillement de toute la famille. Claude a du travail avec son bac. Et toi tu dois avoir beaucoup de travail avec la maison et tous les colis. Les saucissons étaient fameux, tâche d’en avoir souvent. A demain.

Je vous embrasse comme je vous aime.

Hier la journée m’a pas été bonne, noir cafard. Je ruminais des tas de choses. Peut être vais-je avoir des nouvelles si tu m’apportes la valise. Je suis bête, on nous a dit que les colis par poste ou agricoles ne sont plus acceptés à la prison. Et que seuls ceux apportés avaient des chances d’être remis. Il faut que tu fasses comme pour le colis qu’on m’a remis le 12 avril. C’est du reste le dernier. Peut-être viendras-tu aujourd’hui ? J’ai hâte d’avoir un livre et des nouvelles.

28 avril 1944 : Je ne sais ce que je ressens aujourd’hui, j’ai comme un pressentiment et une sale impression. Je pense que je vais bientôt quitter Rennes et partir très très loin d’ici où je serai sans nouvelles. J’espère que ça n’arrivera pas en tous cas je recommande à Claude qui est maintenant le seul homme de la famille, de bien veiller sur sa maman et sur sa petite soeur qu’il ne les quitte pas surtout.

Je vous aime et vous embrasse.

Je vous embrasse comme je vous aime.

1er mai 1944 : Le cafard continue et j’ai faim, pourquoi ne pas m’envoyer la valise avec à manger et de vos nouvelles dans un livre comme je vous le demande depuis le début. Les colis par poste et agricoles sont toujours interdits. Envoie comme le dernier que j’ai reçu le 20 avril.

Bons baisers.

4 mai 1944 : Encore rien de neuf, suis sans paquets de linge. Lundi dernier mais encore rien à manger.

9 mai 1944 : Ta visite d’hier m’a tellement bouleversé que j’ai oublié de te faire remettre ce livre. Merci mille fois pour toutes les bonnes choses et nouvelles. Suis rassuré. Tu es venue à temps car peu de temps après ta visite j’ai passé la visite médicale, pour un départ proche. Je ne sais pour quelle destination, nous allons encore être sans nouvelles pendant un moment.

Pourvu que ce ne soit pas en Allemagne.

Le vin était délicieux mais ils ne m’ont pas laissé le tabac.

Je termine ce livre en vous répétant encore tout mon amour, toute mon affection paternelle.

Je demande à Dieu tous les jours une seule chose c’est de me donner la santé nécessaire pour vous revoir tous les quatre en bonne santé.

Derniers baisers de votre MiMi Papa «



L'ancienne prison Jacques Cartier à Rennes


Puis ce fut le départ vers le camp de transit de Royallieu près de Compiègne, passage obligé vers Neuengamme près de Hambourg et enfin le Kommando (camp de travail ) de Fallersleben où depuis 1941, les usines Volkswagen utilisaient des milliers de travailleurs forcés, hommes et femmes, et des prisonniers de guerre, pour la production d’armement.


Le camp de Fallersleben près de Wolfsbourg où s'est éteint Maurice Capron le 3 janvier 1945


Lors de la cérémonie du 18 juin 1992, le docteur François Maubras, de Plogoff (né en 1921) , vint dire d’une voix sourde et grave comment il connut Maurice Capron « dans un camp où il n’y avait pas de bâtiment, rien à manger et rien à boire. Tout de suite, le nombre de décès fut très important et Maurice Capron, parmi les plus âgés, mourut très vite ». C’était le 3 janvier 1945. Il rappela que Maurice Capron lui avait laissé le souvenir d'un homme remarquable de droiture et de foi.

Maurice Capron obtiendra à titre posthume la Croix de guerre et la médaille de la Résistance.


Sincères remerciements aux petits enfants de Maurice Capron sans qui cet article n’aurait pu être écrit : Jean-Michel , Sylvie, Marie Christine, Marie Josée, Michel, Marie Claude sans oublier Jacques Lern et bien entendu Yvonne Nicolas pour la mise à disposition de documents familiaux.




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