La traversée du dundée « Le Domino » de 200 tonnes de poids en lourd du port de Quimper, a été marquée par une tragédie. Le voilier s’était rendu à Cardiff où il avait pris un chargement de 180 tonnes de charbon. Parti mercredi 20 octobre de ce port, sous les ordres du capitaine Calloch, qui le commande depuis 5 ans, il rencontrait d’abord du calme. En plus du capitaine, le second François Clément, deux matelots et le mousse Georges Fagon, tous domiciliés à Sainte Marine ou Bénodet. Rien ne laissait présager la tragédie qui allait se dérouler.
Fig 1 : maquette (1) du "Domino" réalisée par le regretté Jean-Noël Le Roux de Bénodet
Fig 2 : maquette (2) du "Domino" réalisée par le regretté Jean-Noël Le Roux de Bénodet
"Samedi matin alors que le bateau se trouvait à une quarantaine de milles des côtes anglaises, le mauvais temps se leva sur la Manche. Le vent soufflait du sud-ouest. Bientôt ce fut un véritable cyclone. Pris dans la tourmente, le dundée réduisit sa voilure. Sous l’apparence d’un grain, le vent fraîchissait de plus en plus. A 10 heures du soir, le capitaine Calloch mit vent arrière pour carguer le foc. Tandis que les hommes se préparaient à effectuer la manœuvre, une lame plus forte que les autres prit le bateau par l’arrière et déferlant sur le pont, enleva tout sur son passage. Il était environ 10h 30.
Vivement le capitaine Calloch et le matelot Gouzien se cramponnèrent au raban de la barre, les autres marins s’accrochant à des filins qui se trouvaient à portée. La lame passa en grondant , remplissant le coffre. A demi-noyés, les marins demeurèrent un bon moment à se demander s’ils n’allèrent pas tous périr. Quand la vague fut passée, le capitaine Calloch jeta un coup d’oeil sur le pont. Un de ses matelots allait disparaître par-dessus bord. Il eut juste le temps de le rattraper. Un autre, Gouzien, gisait immobile près de la barre. La jambe brisée. Le mousse avait réussi à tenir bon également. Mails il ne restait nulle trace du second, François Clément, que la lame avait enlevé.
Quatre heures durant le navire fut terriblement secoué par l’ouragan. Aidé du seul matelot valide et du mousse, le capitaine Calloch réussit à mettre en cape et à étaler sous cette allure.
La Domino arrivait en vue de Bénodet dans la nuit de mardi à mercredi, ayant réussi à terminer la traversée. Au jour, les quelques curieux qui stationnaient sur le port aperçurent son pavillon en berne. Le malheur était passé sur le bateau. Après avoir fait prévenir la veuve du second, M Calloch qui avait avisé ses armateurs de la tragique disparition, attendait l’ambulance demandée à Quimper pour conduire à l’hôpital le matelot Pascal Gouzien, auquel il avait donné les premiers soins.
Rarement nous vîmes marin aussi navré que le capitaine Calloch. SuR ces petits navires l’équipage forme une famille et François Clément était à bord depuis 11 ans".
« Le petit breton » 31 octobre 1937 »
Fig 3 : photo extraite du "Petit Breton" du 31 octobre 1937. Le "Domino" est bien un dundée et non une goélette.
Fig 4 : dénombrement de la commune de Bénodet en 1936.
Vincent Calloch, le patron du Domino, comme son nom le laisse supposer était un groisillon (île de Groix) et fils de marin. Né le 16 juillet 1895 (les tableaux de recensements ne sont pas très fiables) il est embarqué le 28 juin 1907 comme mousse. Il n'avait pas encore 12 ans. Novice en 1911 puis patron de bornage en 1914 et capitaine de cabotage en 1924. En 1936 comme le montre le document, il habitait Bénodet, avenue de Kercreven, une maison voisine de celle de la famille Jourdren (renseignements transmis par Joseph).
Fig 5 : le mousse Georges Fagon (photo prise en 1944) membre des FFI du réseau Vengeance. Il était né le 8 avril 1922. Il avait donc 15 ans en octobre 1937.
A propos du matelot Pascal Gouzien qui eu la jambe fracturée lors de cette tempête, il semblerait qu'il a vécu une autre tragédie déjà évoquée dans ce blog avec le naufrage du vapeur Jacobsen le 12 février 1941. Avec Christophe Cadiou, il avait survécu à ce naufrage dont l'origine était une torpille anglaise.
Là encore, malgré une jambe fracturée il eu la vie sauve. Il était originaire de Sainte Marine.
Fig 6 : La famille de Jean-Louis Clément : jean-Louis, le père, marin pêcheur disparu en mer le 29 mars 1927 "en relevant ses engins de pêche". A sa droite son fils aîné François (le disparu du "Domino") et à sa gauche son épouse née Marie Clément et au premier rang et de gauche à droite, les 3 autres enfants, Yves, Joséphine et Jean.
François Clément, le fis ainé avait épousé à Gouesnach le 24 novembre 1924, Philomène Nédélec fille de Jean-Marie et de Marie Jeanne Puloch de Kerhure.
Il était papa au moment de sa disparition.
Fig 7 : article paru dans "le petit parisien" du 12 décembre 1929
Cet article de presse de décembre 1929 nous apprend que "le Domino" avait été pris par une très forte tempête et qu'il ne donnait plus de nouvelle. François Clément était déjà à bord. Ce jour là "le Domino" et sont équipage s'en étaient sortis.
Par la suite le "Domino" poursuivit ses rotations "et fut réquisitionné par l'Occupant." Il faisait la navette entre Quimper et Bayonne et Santander, troquant pommes de terre bretonnes contre minerai de fer espagnol. Un petit commerce au niveau des deux dictateurs sur le dos des Français. Le "Domino" coula à son second voyage et l'équipage s'en sortit ! "Extrait de "Commando de la France libre" de Gwenn-Aël Bolloré.
Ce naufrage se déroula devant la barre de l'Adour et Il convient de signaler que parmi ces naufragés du 1er novembre 1942, se trouvait Pierrot Le Déon, qui était mousse à bord du « Domino » et dont s’était le premier voyage. Il termina là sa carrière de marin et se reconvertit dans la peinture chez François Haas et au chantier Craff. Dans son salon, bien accroché au mur le dessin du "Domino" réalisé par Henry Kérisit.
Fig 8 : Dessin du "Domino" par Henry Kérisit
Fig 9 : Photo non datée du "Domino" et de son équipage
Beaucoup de remerciements posthumes mais je ne les oublie pas : Jean Gaillard qui était un neveu de François Clément et donc un petit fils de Jean-Louis et Marie, Joseph Jourdren, Jean-Noël Le Roux.
Merci bien entendu à l'ami Henry.
C'est interessant, j'ai relu, il n'y a pas très longtemps le bouquin de Gwen-Ael Bolloré ou en effet il parle de ce bateau :
"Toutes les autres solutions restaient envisagées et, en premier lieu, le passage par l'Espagne.
Justement, l'entreprise familiale possédait un Dundee, Le Domino. Ce bateau, avant la guerre, faisait régulièrement le trajet Quimper-Glasgow-Quimper, pour approvisionner la papeterie en charbon. Les Allemands l'avaient réquisitionné, et maintenant, il faisait la navette entre Bayonne et Santander, troquant pommes de terre bretonnes contre minerais de fer espagnols. Un petit commerce au niveau des deux dictateurs sur le dos du ventre (si je puis dire) des Français.
Le capitaine Calhorc'h, un Malouin, tenait toujours la barre, et je connaissais ses sentiments de…