L'histoire d'une petite villa construite en 1927 dans le secteur est de la plage du Trez, juste en arrière des dunes qui s'étendaient alors jusqu'à la petite ferme de Trez bihan. Les documents recueillis, d'origine familiale, permettent d'en établir la genèse, parfois difficile, et constituent aussi une source de première importance, tant à propos des artisans qui interviendront sur ce chantier, que de l'histoire communale elle-même dans les deux premières années d'Occupation.
LA SITUATION
Fig 1 : Photo prise peu de temps après la construction. Vers 1928 - 1929.
L'ORIGINE DU FONCIER
Le 4 juillet 1926 M.Yves Rannou, clerc de notaire à Pleuven vend une parcelle de 424 m2 à M.Marius Le Derff, lieutenant aux affaires indigènes à Adrar alors en poste dans le Sahara Français. le contrat est passé devant maître Grall à Pleuven (qui est également l'employeur d'Yves Rannou).
Ce dernier avait acheté cette parcelle à M Daniel, entrepreneur, propriétaire de l’hôtel de l’Odet, qui la tenait par vente de M. Cariou de la ferme de Trez Vras.
Mr Pierre Daniel né à Loctudy le 1er avril 1896 fils de Henri et Marie Jeanne Le Cossec demeurant à Bénodet était l'époux de Marie Sautejeau née à Bénodet le 1er décembre 1900 à Poulmic fille de Jean Marie et de Marie Anne Clément. Mariage célébré le 29 mai 1921 à Bénodet.
Fig 2 : Le plan du terrain dessiné par l'architecte Le Louët. Le chemin de St Gilles est à l'ouest et la route du lotissement correspond à la rue du Trez.
LE CHOIX DU TERRAIN
Courriers de Marius Le Derff à son père Jean.
10 janvier 26
Adrar (Sahara) : « Si tu estimes, papa, que mon argent placé en immeuble court moins de risques, achète si l'occasion se présente, quelque chose sur la côte , dans un coin agréable, de préférence dans le Finistère, environs de Bénodet ou dans le Morbihan mais pas plus bas que Lorient. Ce que je préfèrerai à tout, c’est Douarnenez »
18 avril 1926
Adrar : « j’ai bien reçu un guide de Bretagne à ce courrier et j’ai constaté avec plaisir que Bénodet est classé parmi les plages assez recherchées. Je crois mon cher papa que nous avons réalisé une bonne affaire".
Manifestement le propriétaire du terrain, Marius Le Derff ne connaissait pas Bénodet, et il a laissé à son père Jean le soin de gérer ses affaires et d'effectuer le choix du terrain.
Adrar le 13 juin 1926
« Pourras-tu dans tes prochaines lettres joindre un plan me permettant de situer le terrain par rapport à la mer, à Bénodet, au chemin de St Gilles etc... Cette dune dont tu me parles, est-elle haute, et cache-t-elle la mer ? Quelle est la distance entre le terrain et la dune ? Quelle distance y-t-il entre le terrain et la mer ? ".
Adrar le 15 juillet 1927 : « Ma première impression se confirme : sans être parfaite, la villa est néanmoins jolie et très habitable. La vue est magnifique. Le Louët venu une première fois seul, vient de revenir en compagnie de Le Bris qui a promis d’activer. Ce dernier sait d’ailleurs qu’il ne sera payé que tout achevé".
LA CONSTRUCTION et LES ENTREPRISES
Dans un premier temps le père et le fils Le Derff,se trouvant l'un et l'autre éloignés de Bénodet effectuèrent le choix d'un architecte susceptible de suivre les travaux de près.
C'est Pierre Le Louët qui fut désigné. Installé à Amiens, il était sur le point de rejoindre Quimper au 28 rue du Frout et rapidement acheta également à Bénodet la villa "Les Chênes" .
La correspondance entre l'architecte et le représentant du propriétaire, Jean Le Derff, père de Marius est abondante. Ce dernier n'était pas homme à se laisser guider et manifestement était d'une très grande rigueur. Il s'est déplacé plusieurs fois à Bénodet tout au long du chantier.
Fig 3 : Le gros oeuvre sera essentiellement assuré par l'entreprise Louis Chalony de Pleuven.
Fig 4 : L'entreprise Corentin Le Bris de Fouesnant avait répondu conjointement à celle de Louis Chalony
Fig 5 : Jules Botta, bien connu à Bénodet à cette époque et comme indiqué sur l'en-tête, spécialiste du béton armé, se chargea du carrelage et des enduits en plâtre. C'est son entreprise qui effectua à la même période la construction du Minaret puis le rehaussement, toujours en béton armé, du Grand Hôtel Boissel.
Fig 6 : Facture de la compagnie Lebon dont les bureaux quimpérois occupaient ce bâtiment situé à l'angle du quai Dupleix et de la rue Théodore Le Hars.
A noter que le document date de 1933. Pendant près de 5 ans donc, la maison de Marius Le Derff n'était pas raccordé au réseau électrique car il n'existait pas. On peut penser que la villa "Les Roseaux" a profité de l'achèvement des travaux du lotissement du Trez pour assurer son électrification.
Fig 7 : Facture du avril 1933 pour l'installation électrique de la villa écrite par Raymond Pennec, seul électricien de Bénodet à l'époque et installé rue de la Poste (de l'ancienne Poste...).
LA LOCATION DE LA VILLA
Marius le Derff ne pouvait profiter de sa villa, sa fonction d'officier le tenant fort éloigné de Bénodet. Il fut donc décidé de la mettre en location au moins durant la saison estivale.
Fig 8 : extrait de l'affichette qui devait être apposée dans les hôtels et villas louées à Bénodet, datée 24 juin 1932 et signée du maire de Bénodet, M. Bouilloux-Lafont.
L'article 6 stipule que " les propriétaires des villas ou maisons meublées n'habitant pas Bénodet devront avoir un mandataire domicilié à Bénodet" .
La famille Le Derff s'était mise d'accord avec Pierre Furic qui tenait à l'époque "les galeries de l'Odet" au bas de la rue de l'église.
Fig 9 : le commerce de Pierre Furic, "les galeries de l'Odet".
Location en temps de guerre
13 mars 1940
« Le maire de Bénodet m'autorise à louer la villa "Les Roseaux" à condition de l'évacuer au premier appel. Le ministère de l'intérieur a réquisitionné les hôtels et les villas non occupés pour le cas peu probable d’envahissement de la France » écrit Jean LE DERFF.
6 juin 1940
Courrier de Pierre Grall notaire à Pleuven : « j’ai un client de Paris qui m’a chargé de lui trouver dans la région une villa pour sa famille composée de 4 personnes. Mme Daniel du Trez, que j’ai vue hier, m’a déclaré que votre villa de Bénodet était libre".
6 avril 1941
Jean Le Derff demande à Mme Trolez qui habite la villa « Kerjean » au Trez de remplacer les clés de la villa, clés disparues « depuis le départ des allemands » .
"LES ROSEAUX" : POURQUOI CETTE APPELLATION ?
Dans un premier temps, ce nom ne m'avait pas surpris, la relation étant établie de façon naturelle entre cette appellation et le proximité avec l'étang de Ker Moor.
Mais non ! Il faut chercher l'origine du côté de Saint Nolff dans le Morbihan d'où était originaire la famille Le Derff qui était propriétaire d'une ferme portant ce nom.
Marius LE DERFF
Il est né le 13 juin 1898 à Rennes et va effectuer une carrière pour le moins bien remplie dans l'armée française. Celle-ci débute en 1916, le 17 novembre (il est dans sa 18ème année) au 7ème régiment d’artillerie. Il est alors canonnier de 2° classe.
le 18 août 1918, il intègre l’école militaire de Fontainebleau et est promu sous-lieutenant en août 1919.
Promu sous-lieutenant par décision ministérielle en date du 23 août 1919 et libéré de ses obligations militaires le 17 novembre 1920.
Il réintègre l'armée le 18 avril 1921
Nommé au grade de lieutenant par décret du 21 septembre 1924, on retrouve Marius Le Derff à Timimoun (Sahara "algérien") le 9 mars 1925. Il passa une bonne douzaine d'années au Sahara en tant que lieutenant aux affaires indigènes.
Fig 10 : Le lieutenant Le Derff, méhariste, tout à gauche.
Fig 11 Couverture du roman de Joseph Peyré "L'escadron blanc".
L'auteur, Joseph Peyré, à priori n'avait jamais vu ces régions ravagées par la sècheresse et la chaleur et pourtant il écrivit dans les années trente quelques romans sur le sujet, dont celui-ci, d'une incroyable authenticité.
Une explication : Il entretînt à cette époque, une correspondance très suivie avec le
lieutenant Le Derff. Marius Le Derff est ensuite admis à l’école supérieure de l’intendance à compter du 1er octobre 1938.
On le retrouve au poste d'intendant militaire durant la guerre d'Indochine et après avoir quitté l'armée avec le grade de colonel et décoré de la Légion d'honneur, il s'installe à Madagascar où il se lance dans une affaire d'import-export.
Ce n'est que dans les dernières années de sa vie qu'il s'installera à Bénodet dans sa petite villa des "Roseaux". Il nous a quitté le 8 février 1983.
Fig 12 : Marius Le Derff - Collection familiale .
Fig 13 : Vue de la façade donnant sur la corniche de la plage (anciennement "chemin de St Gilles)
Fig 14 : La toiture n'est plus et bientôt les "Roseaux" seront définitivement penchés...
Remerciements sincères Alain Le Derff, fils de Marius, à Paul Le Derff, arrière petit- fils et à sa très aimable maman, et à Jean-Jacques Morvan.
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