"Annick et Gaëla étaient présentes ce lundi 6 juin 2022 aux côtés de Léon Gautier le dernier vétéran français du Commando Kieffer et du Britannique Roy Maxwell invités d'honneur des cérémonies du 78e anniversaire du Débarquement à Amfreville (Calvados)".
« C'est important pour nous d'être là », Annick la fille de Joseph Nicot engagé sous les ordres du commandant Kieffer et sa fille Gaëla, viennent chaque année de la Région parisienne, rendre hommage à leur père et grand-père. « Au gré des rencontres, on a découvert son histoire, il ne nous avait jamais parlé de la guerre... »
S'il n'est pas aussi connu que ses camarades bretons, Gwenaël Bolloré ou Léon Gautier, Joseph Nicot aura largement contribué, en étant plusieurs fois blessé dans sa chair, à la réputation de ce commando, non seulement le 6 juin 1944 à Ouistreham, mais également à l'île de Sercq (îles anglo-normandes) en décembre 1943 ou à Flessingue aux Pays Bas en novembre 1944.
Fig 1 : Dans les rues de Ouistreham (Calvados) un calicot à l'effigie de Joseph Nicot.
Mais qui était Joseph Nicot ?
Fig 2 : acte de naissance : Joseph Nicot est né à Bénodet le 1er décembre 1921, à parc ar pors, de Joseph Gabriel Nicot, cultivateur, 39 ans, et de Monfort Marie Catherine, trente ans, cultivatrice, son épouse. domiciliés à Bénodet.
Un des témoins, Jean-Marie Le Bihan, était boulanger rue de l'église, chez Hervé Pétillon, beau-frère d'Alain Coporporeau, qui lui succèdera.
Sa famille
Il est le fils de Joseph Nicot né en 1882 à Menez Kerbader en Fouesnant, journalier agricole et de Catherine Monfort née en 1890 à Caron Mestrezec, également à Fouesnant où son père exerçait le métier de forgeron.
Fig 3 : Le jeune Joseph, à droite, avec sa maman
Il a une soeur aînée, Germaine, née en 1911 et qui fut scolarisée à l'école de Perguet.
Fig 4 : Germaine Nicot à l'école intercommunale de Perguet en 1921 avec le maître M. Derrien. Germaine est au second rang, la troisième en partant de la gauche. Elle ne porte pas de coiffe.
Fig 5 : les parents Joseph Nicot et Marie Catherine Monfort photo de mariage le 10 octobre 1920 à Fouesnant
Sa carrière dans la marine marchande puis son engagement dans les FNFL
Joseph intègre la Marine marchande, le 9 juin 1936 alors qu'il n'a pas encore 15 ans. Il est novice en 1938 puis matelot en 1940. En juin 1941, on le retrouve dans les rangs des FNFL (Forces Navales Françaises Libres) et déjà il ne tarde pas à montrer son courage.
Fig 6 : document et photo de Joseph Nicot attestant de son appartenance aux FNFL.
"A la fin juin 1942, après un mois de séjour à Mourmansk, la corvette « Rosalys », des Forces navales françaises libres, fait partie de l’escorte du convoi « retour » QP 13 comprenant trente cinq navires en provenance de Mourmansk et d’Arkhangel en URSS. Elle est commandée par le capitaine de corvette André BERGERET, un officier de réserve venant de la marine marchande, futur Compagnon de la libération.
Le 4 juillet, en fin de journée, le convoi se sépare en deux et la Rosalys poursuit sa route, à destination du port de Reykjawik en Islande, avec seize navires marchands et cinq escorteurs, dont l’aviso-dragueur Niger, chef de groupe, qui a pris à son bord des survivants de divers navires de précédents convois.
Le temps est très mauvais et empêche tout relèvement pendant plus de 48 heures, ce qui fait que la position des navires est simplement estimée. Le 5 juillet au soir, le Commodore du convoi pense qu’il se trouve au sud d’un champ de mines installé par les britanniques, en défense de l’accès du détroit de Danemark.
En réalité, faute de point précis, les navires marchands et leur escorte pénètrent dans le champ de mines. En quelques minutes, six bâtiments sautent et coulent. Pendant cinq heures, sans tenir compte du danger représenté par ces mines magnétiques, l’équipage de la corvette française réussira à récupérer 179 survivants. Roselys sera citée à l'ordre des F.N.F.L. Parmi les citations individuelles figureront les enseignes de vaisseau Petrochilo et Philippon, le matelot asdic Rom et le second maître R.D.F. Abarnou. Le commandant Bergeret recevra la Distinguished Service Cross britannique. Il sera fait aussi officier de la Légion of Merit américaine; il sera le premier officier étranger à recevoir cette dernière décoration. Le second maître canonnier Gourong, le matelot canonnier Iho-Masset et le matelot fusilier Nicot seront « Mentioned in Despatches * ». * citation militaire britannique qui est une distinction militaire récompensant un acte de bravoure
Avec un de ses camarades marin sur la Roselys, Jean Julien BOUILLY, Joseph s'engage dans les commandos en octobre 1942.
L'appartenance au commando kieffer
Le 31 mai 1943, le n°10 Commando prend ses nouveaux quartiers à Eastbourne dans le Sussex. La 1ère compagnie (ou “Troop 1“) compte alors 81 hommes. L’entraînement se poursuit tandis que les commandos sont employés dans différents raids. Ces raids visent à reconnaître la mise en place des défenses ennemies : des commandos de moins de 10 hommes débarquent dans le plus grand silence sur les rivages ennemis. Il y eu en tout 10 raids menés par 80 commandos français de juillet 1942 à février 1944, à partir de petites embarcations à moteur (7 CV Austin), et si la plupart d’entre eux se sont déroulés sans encombres, de nombreux soldats ont payés de leur vie ces missions dangereuses.
Parmi ces raids, ceux sur l'île anglo-normande de Sercq, (décembre 1943) à l'est de Guernesey concernent Joseph Nicot.
Samedi 25 décembre 1943
"Les Anglais fêtent Noël aujourd’hui. À midi, on annonce qu’on part en “manœuvres”. À la maison, on nous croit devenus fous… “Un soir de Christmas, m’a dit Bill, tout le monde fait la bombe…" C’est pour ça que les commandos vont partir cette nuit !
Embarquement M.T.B. à 16 heures… Calme plat, il fera une nuit sans lune… Tant mieux ! Vérification de l’arsenal : Bellamy, les grenades spéciales ; Nicot, le “Bengalore Torpedo” et la mitraillette silencieuse ; Le Floch sera avec moi pour attaquer la sentinelle au poignard… Va y avoir du sport !
Echec !!! Passage impraticable, on est au sommet de l’une des arêtes rocheuses qui descendent vers la mer, pas moyen d’aller plus loin, les boches ont fait sauter le petit sentier qui mène au sommet du rocher. Retour en Angleterre...
Lundi 27 décembre 1943
Ça y est, on repart ce soir ! Tant qu’il n’y a pas de lune, on peut y aller !
Fig 7 : Chacun à son poste à bord du doris qui assure la liaison entre le Motor Torpedo Boat qui les a conduit à Sercq depuis les côtes anglaises et
l'endroit ciblé. Le "dory" permet de s'approcher de l'objectif en faisant le minimum de bruit.
24 h 45. – Nous avons enfin dépassé le sommet des falaises, nous avançons en formation de patrouille dans la direction du premier blockhaus boche qui doit se trouver à 300 mètres en avant. En tête, le lieutenant et moi-même, nos 2 et 3, Nicot et Le Floch, 4 et 5, Dignac et Bellamy.
Deux explosions coup sur coup… on est sur un champ de mines… Ça saute !
Dignac et Bellamy sont touchés. Robert Bellamy a crié “Je suis mort !” et il a été, en effet, tué net par un éclat dans la nuque… il y a encore une deuxième explosion, environ quatre mines : les autres sont touchés… Le lieutenant et Nicot blessés, ont réussi à sortir du champ de mines. Le Floch, touché à la poitrine, est accroupi à côté de moi. 0 h 20. – Le lieutenant est “salement touché”, il faut le “charrier”, Nicot se traîne sur les genoux, il a les mollets et les jambes traversées par des éclats…
2 h 30. – J’ai “charrié” les copains à bord du “Dory”. En vitesse, retour à bord… Le moteur tourne à fond. Tant mieux sans ça je crois qu’il y aurait encore du grabuge… Il y a des fusées rouges et vertes dans le ciel, cette fois les “boches” sont bien réveillés ! Extraits inédits du carnet de notes du second-maître Pierre Boccador.
Le 6 juin 1944
Embarqués près de Corksmouth sur les LCI (Landing Cratf Infantry) 526 et 527, les Français débarquèrent en deux troupes, alors que la mer était à mi-marée, sous le feu de l'ennemi, à La Brèche, lieu-dit de la commune de Colleville. Il était 7h31. L'assaut s'acheva vers llhl5.
Parmi les premières troupes débarquées le 6 juin 1944 figurent les 177 fusiliers marins commandos de Philippe Kieffer.
Rattaché à la Première brigade spéciale britannique et au n° 4 Commando, le Commando Kieffer s’illustre en s’emparant de tous les points fortifiés de son secteur et de la batterie allemande du casino de Ouistreham, point extrême à l’est du secteur du débarquement. Après avoir effectué la jonction à Bénouville et son célèbre pont sur l'Orne (Pegasus bridge) avec les troupes aéroportées britanniques, les bérets verts français gagnent ensuite à l’est de l’Orne le village d’Amfreville le soir du 6 juin.
Fig 8 : le 6 juin 1944, Joseph Nicot à gauche à Ouistreham.
Mais pour le bataillon Kieffer, la bataille de Normandie n'est pas achevée pour autant. Fin juin 1944 plus de 50% de l'effectif est hors de service et sur les 177 soldats de départ, seuls 24 n'ont pas été touchés !!!
le 1er novembre 1944 : Le 1er BFMC* à Flessingue (sur l'île de Walcheren) aux Pays-Bas
. * BFMC : bataillon de fusiliers marins commandos
Après la bataille de Normandie qui ne s'est pas achevée le 6 juin au soir, les soldats rentrent en Grand Bretagne et partent en permission mais ne sont pas autorisés à rentrer en France. La fatigue morale est très forte et un sentiment d'amertume se fait sentir. Et pourtant il faut repartir et cette fois ci vers les Pays Bas. Le port d'Anvers, au fond de l'estuaire de l'Escaut est libéré mais les deux rives de l'embouchure sont encore sous contrôle allemand. Il s'agira donc de libérer cet espace et en particulier l'île de Walcheren et son port de Flessingue.
95 hommes sur les 177 de Normandie sont encore présents (plusieurs compagnies britanniques sont également concernées) et parmi ces hommes Joseph Nicot est toujours là !
Fig 9 : Dans une rue de Flessingue, sur l'île de Walcheren. Joseph Nicot se trouve en haut et à droite.
Joseph sera démobilisé le 19 novembre 1945 et se retire rue de l'Alma à Asnières. Il n'a pas encore 24 ans et a intégré les Forces Navales Fançaises Libres depuis plus de 4 ans.
Titulaire de la croix de guerre avec étoile d'argent et cité à l'ordre de la division. "Mitrailleur adroit et courageux, harcelant continuellement l'ennemi et lui infligeant de lourdes pertes, a fait preuve de beaucoup de sang-froid au cours des combats de Flessingue le 1er novembre 1944".
La vie civile
Joseph se marie le 24 décembre 1947 avec Odette Postic. Le couple habite Argenteuil et Joseph intègrera l'usine de pneumatiques "Kléber" à Colombes en janvier 1948. Il y deviendra chef d'équipe puis contremaître de fabrication. Le 31 mai 1980 il prendra sa retraite mais n'en profitera qu'un court moment puisqu'il décédera 2 ans plus tard. Il n'avait pas 61 ans.
Fig 10 : Joseph en 1963
Fig 11 : Joseph et son épouse Odette
Remerciements très sincères à Gaëla Le Goff Girard petite fille de Joseph et à sa maman Annick.
Merci également à Bernard Le Gall pour la photo de l'école de Perguet et à Alain Mathé Marsille pour la légende de la même photo.
Les reproductions sont interdites. Collection familiale pour toutes les photos.
Passionnant ! Et tout mon respect à ce Monsieur