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IL Y A 80 ANS (7) : 8 et 9 août 1944 attaque des dragueurs de mines allemands dans l’Odet par l'aviation alliée.



Depuis avril 1943 , la Kriegsmarine a investi le port de Bénodet et y a implanté un petit « Arsenal » destiné au soutien logistique des dragueurs de mines de la 2. Minensuchflottille qu’elle y a affecté.

 Les bateaux sont amarrés au milieu de la rivière Odet et sont protégés contre d’éventuels assaillants venus de l’océan par toute une série de blockhaus ; deux sections de Flak implantées à Bénodet et à SainteMarine sur la rive opposée assurent leur protection contre toute attaque venue du ciel.

…] Le nouveau mouillage de notre 2. Minensuchflottille est situé dans l’estuaire de la rivière Odet. Les bateaux sont ancrés au milieu de son embouchure, près du petit village de Bénodet et dans cette « cachette » nos dragueurs de mines n’ont fait l’objet d’aucune attaque aérienne. La tâche la plus importante du groupe que composent les huit bateaux de notre flottille est l’escorte de convois mais aussi celle des sousmarins sortant ou entrant au port de Lorient. Il n’est pas rare de naviguer par mers formées avec des vents violents. […] Uffz. Eugen Loderer, Minensuchboot M 25.

Le mouillage et le mouvement des navires fait l’objet d’une surveillance étroite de la part des alliés et de la Résistance locale mais les attaques aériennes vont se produire principalement en 1944, surtout conduites par des appareils du Coastal Command. Ces dernières sont rendues malaisées par la conformation des lieux car la rivière coule ici au milieu d’une vallée dont les pentes sont couvertes de bois. Les pilotes doivent donc prendre celle-ci en enfilade afin d’assurer un maximum de dommages aux objectifs puisqu’une attaque par le travers ne leur en fournirait pas la possibilité. Le risque d’être abattu lors d’une passe de mitraillage est donc important, pour preuve l’attaque anglaise du 4 juillet précédent qui s’est soldée par la perte d’un chasseur-bombardier Mosquito et la mort de ses deux membres d’équipage.


L'attaque du 8 août

 C’est dans ce contexte que va se produire l’attaque du 8 août sur les navires allemands, conduite cette fois par une unité de l’aviation américaine basée à ce moment-là en Normandie, sur l’aérodrome de Cherbourg-Maupertus.

Elle est menée par huit chasseurs North American P-51 Mustangs du 363rd Fighter Group de la 9th U.S.A.A.F. que commande le Capt. John R. Brown Jr., un pilote expérimenté mais qui a une forte tendance à « casser du bois » .



Fig 1 : chasseur North American P-51 Mustangs

Il nous a laissé un témoignage de cette mission dans une lettre de décembre 1991, un récit complété par des détails issus de divers documents et du rapport rédigé à l’époque par son ailier, le 1st Lt. Charles H. Shiff : « Mes hommes et moi-même nous assistons de bonne heure ce 8 août à un briefing destiné à nous communiquer tous les détails concernant une patrouille que nous avons à conduire sur une zone comprise en gros entre Vannes et Nantes. Le but de la mission est de détruire des éléments ennemis supposés retraiter vers Saint-Nazaire, mais également d’engager le combat avec tout appareil de la Luftwaffe que nous pourrions rencontrer dans ce secteur. Suivi par les sept autres chasseurs de mon Squadron je décolle donc à l’aube à bord de mon P-51 Mustang que j’ai baptisé « Big Mac Junior ». Notre vol se déroule sans incidents et nous atteignons la zone qui nous a été assignée après 6h00. Nous sommes tous assez frustrés de découvrir qu’il nous est impossible de repérer des objectifs au sol en raison de l’épaisse couche de brouillard qui recouvre tout le secteur et, après avoir tournoyé un moment à basse altitude sur la région, tiré quelques salves au hasard sur les poteaux de téléphone qui émergent de temps à autre de cette purée, nous grimpons à 9.000 pieds pour surveiller les alentours et surtout attendre la dissipation du brouillard. La luminosité particulière de cette belle matinée d’été nous permet de voir très loin sur le continent et d’apercevoir dans le lointain un bout de la péninsule Bretonne déjà débarrassée de sa couverture brumeuse.

Dans mon cockpit, je songe au briefing du matin et à cette parenthèse de notre officier de renseignements concernant des dragueurs de mines allemands mouillés à Bénodet qui embarquent ces jours-ci des troupes en retraite. Ce dernier, un gars particulièrement compétent, distille régulièrement des infos annexes de ce genre. Il a ajouté que ces navires allaient être attaqués dans la soirée par la R.A.F. et il n’a pas oublié de préciser que ces bâtiments étaient très bien armés, qui plus est, mouillés dans un port réputé pour être bien défendu par la Flak - la défense anti-aérienne allemande. Cet objectif n’ayant rien à voir avec notre mission il n’a eu nul besoin de nous préciser qu’il fallait que nous laissions ces bateaux tranquilles. Mais malgré tout, au vu des conditions météo qui règnent sur notre zone et à être là à ne rien faire, je ne peux m’empêcher de penser que ça ne ferai de tort à personne si nous allions jeter un petit coup d’œil à ces navires… à bonne distance ça va de soi. Par radio je préviens donc mes hommes et nous prenons bientôt un cap qui nous amène à longer la côte et espérons-le, qui va nous permettre de survoler Bénodet et ses protégés. Nous restons à 9.000 pieds - mon altitude favorite - car trop haute pour essuyer des tirs de Flak légère - toujours précise - et trop basse pour les obus à explosion retardée de la Flak lourde. Nous n’attendons pas bien longtemps pour être récompensés - mais c’est plus grâce à notre bonne étoile qu’à notre navigation précise ! Et ils sont bien là ces navires, blottis contre le rivage, bien positionnés dans la rivière, leurs étraves faisant face au Sud, face à l’océan. J’avertis mes hommes par radio de ne montrer aucun signe pouvant indiquer aux allemands que nous les avons aperçus et de poursuivre sur le même cap. Je dois vous avouer qu’à l’instant même où j’ai vu ces alléchantes cibles, j’ai su que j’allais les attaquer ! La journée était si belle et s’il était vrai que des troupes allemandes étaient là en train de retraiter, il y avait certainement une multitude de soldats à fourmiller autour, sur et à l’intérieur de ces dragueurs. J’avais simplement à faire un passage et à en descendre quelques-uns. Une fois hors de vue nous avons effectué un large virage vers le nord et j’ai annoncé à mon ailier – le 1st Lt. Chuck Shiff - qu’il allait m’accompagner dans cette attaque. Je lui ai précisé qu’il attaquerait le bateau situé à gauche et moi celui de droite, puis j’ai ordonné aux six autres pilotes de nous couvrir en altitude durant notre passe de mitraillage. Toujours hors de vue des bateaux, Chuck et moi-même nous avons poursuivis notre virage mais en piquant vers le sol et la cime des arbres afin de profiter de notre grande vitesse et de l’effet de surprise à notre débouché sur la rivière. En arrivant au ras des flots sur les navires, nous nous sommes aperçus que le dragueur de mines de Shiff était ancré environ 800 mètres plus avant que celui que je devais attaquer et au moment où j’ai abordé ma cible et ouvert le feu, tous les bateaux ancrés dans la rivière se sont mis à tirer. En fait, c’est aussi seulement à cet instant que nous nous sommes aperçus qu’il y avait trois bateaux de plus que ceux que nous avions vus lors de notre survol initial ! J’ai tiré de longues rafales de mes 12.7 qui ont frappé le navire de la poupe à la proue et au moment où je le survolais, une soudaine et formidable explosion a engloutit mon Mustang et en la traversant, j’ai ressentis une brève sensation de chaleur. J’ai repris aussitôt de l’altitude car j’étais maintenant la cible de tirs incroyablement précis de mitrailleuse et des coups commençaient à ricocher à travers tout mon appareil ; ceux qui frappaient l’intérieur de mon cockpit et le panneau d’instruments étant particulièrement déroutants. Ces tirs m’ont blessé légèrement à une jambe mais à ce moment-là je n’en avais pas conscience. Mon ailier a effectué quant à lui des manœuvres évasives au ras des flots pour se sortir de ce guêpier puis il a filé à pleine vitesse vers le grand large pour se mettre au plus vite hors de portée des mitrailleuses. Lors de ma reprise d’altitude, un rapide coup d’œil à mon rétroviseur m’a laissé entrevoir le volumineux panache de fumée que je trainais dans mon sillage et mon moteur donnait de sérieux signes de faiblesse. Par radio j’ai annoncé très vite à Chuck - que je n’apercevais d’ailleurs plus - que j’allais tenter un amerrissage. Il me restait très peu de temps pour prendre cette décision quand il m’est revenu en mémoire que mon appareil avait de flanqué sous le ventre une écope pour le refroidissement du radiateur d’huile et que le poser sur l’eau en faisait une option des plus hasardeuse. Etant face à l’océan, j’ai alors viré à droite pour revenir vers le continent afin d’y rechercher un terrain dégagé susceptible d’y poser mon zinc. Mais là – Oh ! Surprise… le sol était parsemé de murets de cailloux car ces damnés bretons ont empilés là leurs pierres depuis des siècles pour en faire des clôtures et de tels tas de cailloux en faisaient de respectables obstacles. Qui plus est, nombreux étaient ceux situés assez près les uns des autres, empêchant tout atterrissage dans des conditions optimales de sécurité. Dans ces circonstances, alors que je gardais une grande confiance en mes aptitudes au pilotage et que je réagissais à cette situation d'urgence avec toute la maitrise du soldat entraîné à une telle éventualité, je restais quand même assez inquiet quant à mon avenir pendant que j’enlevais mon masque à oxygène, déconnectais ma radio, que je désactivais les commutateurs électriques et abaissais mes volets pour tenter cet atterrissage à haut risques. Avec plus de chance que d’habileté, j’ai réussi tant bien que mal à poser mon oiseau blessé dans un champ dégagé situé à environ 1.600 mètres à l’ouest de la rivière et ce, sans heurter l'un de ces maudits obstacles de pierres. Pendant que je dégrafais mon harnais et que je tentais d’atteindre le plancher du cockpit pour y prendre la charge stockée là dans le but de détruire mon appareil, j’ai aperçu sur une butte - au loin sur ma droite - le servant d’un blockhaus qui pointait son arme vers moi afin de me mitrailler. Et ce alors que j’étais maintenant au sol sans défense ! Inutile de vous dire que je n’ai pas mis longtemps à sauter du cockpit et à courir comme un fou furieux vers les verts pâturages qui autour de moi me tendaient les bras, avec comme seul but de mettre de la distance entre moi et cet inamical artilleur. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que j’ai choisi par inattention la grenade fumigène en lieu et place de celle prévue pour détruire l’avion alors que je disais si précipitamment adieu à mon fidèle destrier. Après avoir repris de l’altitude, le 1st Lt. Shiff avait cerclé vers l’ouest, au-dessus de la zone où je m’étais posé. Il a rassemblé le restant des éléments du Flight et a ensuite survolé mon avion posé au sol. Ne voyant pas âme qui vive dans ou autour de l’appareil, il a fait demi-tour pour revenir lui mettre quelques bonnes rafales de mitrailleuses puis l’instant d’après, lui et les autres ont disparus de ma vue. Une fois au sol j’ai couru me blottir dans un fossé et les Allemands ont continué à tirer régulièrement vers ma position supposée. J’ai rampé jusqu’à des buissons où j’ai passé la nuit. Le lendemain j’ai été réveillé par des membres de la résistance du secteur qui avaient cherché après moi mais qui la veille n’avaient pu m’approcher à cause des tirs de la mitrailleuse allemande du Treustel. Ils m’ont emmené à Loctudy où se trouvait leur chef puis j’ai été conduit à l’ile Garo où je suis resté caché dans une famille pour quelques jours. Durant cette période, ma jambe blessée a été soignée par le Docteur Guias de Pont-l’Abbé. Après une première tentative infructueuse pour rejoindre mes compatriotes j’ai été conduit le 12 août à Pontivy où j’ai été remis à des soldats appartenant à la 6th Armoured Division. J’ai rejoint ensuite Cherbourg via Loudéac et le 17 août j’étais de retour dans mon unité


L'attaque du 9 août

Une formation de Mosquitos du No. 248 Squadron a également mené le 9 août 1944 une attaque audacieuse. C’est l’exemple même de la manière d’opérer des avions qui osent tout pour pénétrer au cœur des ports ennemis afin de couler les navires qui s’y trouvent avant qu'ils ne puissent appareiller pour la haute mer.

L’un des navigateurs qui a participé à cette attaque m'a raconté la mission. "Nous étions en stand-by depuis quelques jours, attendant d'attaquer les navires ennemis s'ils tentaient d'appareiller ou s’ils venaient à aller renforcer la péninsule bretonne.

Le 9 août, treize de nos équipages ont été chargés de patrouiller le long des côtes du golfe de Gascogne jusqu'à l’embouchure de la Gironde. "Nous en avons inspecté tous les coins et recoins, sauf les endroits où les fonds était trop peu profonds pour pouvoir naviguer, et lorsque nous nous sommes trouvés au large de Bénodet, sur la côte sud de Bretagne, nous avons entre-aperçu un groupe de dragueurs de mines.


Fig 2 : Dragueurs de mines dans l'estuaire. Photo Henry Kérisit


Nous en avons pris bonne note en vue d’une attaque plus tard ; nous les avons gardés dans un coin de notre tête pour le cas où nous ne trouverions rien de mieux à nous mettre sous la dent. Nous avons survolé le secteur Sud, entre Belle-Ile et le continent, puis continué jusqu’à l’embouchure de la Gironde. Une Flak * dense montait vers nous car leurs servants avaient la gâchette sensible. Trois de nos avions ont dû rebrousser chemin, l'un d'entre eux à cause de problèmes moteur, puis plus tard, l’un de nos avions a été touché par des tirs de Flak venus du rivage. Son pilote a été blessé et son appareil a été escorté par l'un de ses coéquipiers.

Nous avons trouvé un groupe de nos navires que nous avons escortés pendant dix-huit minutes, mais nous n'avons trouvé aucun navire ennemi, seulement un petit caboteur et un navire marchand dans la baie de Bourgneuf-en-Retz (Noirmoutier). Nous avons donc remonté la côte et sommes revenus sur Bénodet pour vérifier que les dragueurs de mines étaient toujours là.

Il était environ vingt-heures trente lorsque le Leader est arrivé au sud de l'embouchure de la rivière. Pendant que huit des avions réajustaient la formation, le Leader et son équipier ont survolé la rivière afin de s’assurer que les dragueurs de mines étaient toujours mouillés là, mais aussi pour voir comment ils étaient positionnés. Ils n'ont pas essuyé de tirs de Flak à ce moment-là, mais les Allemands avaient eu tout le temps de prendre un thé et de charger leurs armes quand nous nous sommes présentés pour l'attaque proprement dite. Le Leader et son ailier ont rejoint la formation et nous ont donné leurs ordres.

La formation a remonté la rivière en direction du nord, cette dernière faisant environ 800 mètres de largeur à son embouchure, après le village de Bénodet. L’effet de surprise n’était plus de mise à ce moment-là et les Allemands avaient bien deviné nos intentions. Nous avons trouvé les dragueurs de mine juste au-delà du village ; il y en avait même un amarré le long d'un dock flottant à l’abri des arbres.


Fig 3 : "le dock flottant à l'abri des arbres" après guerre. En arrière la villa de Kergaït à la famille Maës. Collection Jean Maës


Nous avons tous réalisé des attaques frontales et lorsque nous étions encore à 1.800 mètres d’eux, les dragueurs de mines ont ouvert le feu par des tirs de Flak lourde et légère.

Et il y avait un tapis de Flak depuis le rivage afin de nous empêcher de piquer. On apercevait les rangs de bouffées noires au-dessous. Nous volions à environ 250 mètres d’altitude et les bouffées se trouvaient à environ 150 mètres, mais nous avons été touchés par deux fois, tout comme nous avons eu la malchance d’avoir trois de nos canons enrayés. Un tir de Flak a traversé le côté droit du nez et a touché un parachute et il y a eu un coup dans l'aile droite. Nous avons dû décrocher à cause du problème avec nos canons et ensuite nous avons survolé la cime des arbres en direction de la mer. Nous sommes passés au-dessus d'un joli château, bien connu de nous aujourd’hui. Nous avons toujours dit que nous irions nous y reposer quand la guerre serait finie. L’endroit est charmant, avec un parc."

"Les navigateurs avaient peu de choses à faire lorsqu’une attaque était en cours. Nous rivalisions donc pour prendre les photos. Celles prises durant cette attaque montrent que tous les dragueurs de mines ont été touchés ; tous laissaient échapper des panaches de fumée et deux étaient la proie des flammes.


Fig 4 : photo prise lors de cette attaque aérienne. " tous les dragueurs de mines ont été touchés ; tous laissaient échapper des panaches de fumée "


Les résultats ont été jugés satisfaisants : quatre dragueurs de mines endommagés pour seulement quelques dégâts léger à l’un de nos avions." J'ai demandé au navigateur s'il avait ressenti de la tension durant l'attaque et il m'a répondu : "Non, on serait pour le moins surpris s’il ne se passait rien. La satisfaction vient après, quand on s’éloigne de l'attaque, qu'on se rend compte qu'on va bien et qu'on regarde autour de nous les autres gars."

  • Flak : artillerie antiaérienne allemande.

Source : Battlefield Bombers: Deep Sea Attack de Martin Bowman [...]


Remerciements : Alain Le Berre - Frédéric Hénoff - Jean Maës - Henry Kérisit -








 

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1 Comment


au top ton article, comme d'habitude !

Je me rappelle encore de ce qu'il restait du dock quand j'étais enfant.

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